Par Frédéric de Coninck

Le cycliste hollandais Tom Dumoulin, au palmarès flatteur (il a gagné le tour d’Italie et le championnat du monde du contre la montre, par exemple), vient de provoquer un coup de tonnerre dans le milieu sportif, en annonçant qu’il souhaitait interrompre sa carrière (au moins provisoirement). Il veut prendre du recul et voir s’il a envie de continuer son métier de cycliste professionnel.
Ses motivations m’ont impressionné. Elle rejoignent, en effet, des questions profondes et récurrentes que, me semble-t-il, beaucoup de salariés se posent aujourd’hui. Il s’en est expliqué dans une interview vidéo que vous pouvez regarder (en hollandais sous-titré en anglais) sur Youtube.

Il vaut la peine de la citer un peu longuement, en version française : « Je sens depuis un bon moment, des mois peut-êre, un an en fait, qu’il m’est très difficile de savoir comment trouver mon chemin en tant que « Tom Dumoulin le cycliste ». Avec la pression qui est là, avec les attentes des différentes parties, je cherche simplement à très bien faire. Je veux que l’équipe soit heureuse avec moi. Je veux que les sponsors soient heureux. Je veux que ma femme et ma famille soient heureuses. Donc je veux bien faire, pour plus ou moins tout le monde, y compris mes coéquipiers. Mais, de ce fait, je me suis un peu oublié l’année passée. Qu’est-ce que je veux ? Que veut faire l’homme Tom Dumoulin de sa vie en ce moment ? C’est une question qui bouillonne profondément en mois depuis ces derniers mois. Je n’ai pas le temps de répondre à cette question, parce que la vie en tant que cycliste professionnel continue. On est dans un train express, on va au prochain camp d’entraînement, à la prochaine course, on vise les prochains objectifs. Mais la question reste là, et je n’ai pas le temps d’y répondre. [ …]. Et maintenant j’ai le sentiment que je ne sais plus quoi faire. Et que je continue à laisser les autres répondre à cette question, juste pour faire ce que tout le monde attend de moi. […] C’est pourquoi je vais faire une pause un moment. […] J’ai pris la décision hier. L’équipe me soutient dans cette démarche et ça fait vraiment du bien. C’est vraiment comme si un sac à dos d’une centaine de kilos avait glissé de mes épaules. Je me suis immédiatement réveillé heureux. Ça fait tellement de bien d’avoir finalement pris cette décision de prendre un peu de temps pour moi. »

Cette perte du sens, du travail que l’on fait, parce que l’on est sans cesse soumis aux injonctions et aux attentes des autres, au point de perdre pied soi-même, est une plaie de beaucoup de situations de travail, aujourd’hui. J’ai souvent entendu des personnes exprimer des questions et des souffrances du même ordre, dans des métiers divers et à des âges variés.

On pourrait penser qu’un sportif cherche, d’abord, à accomplir une performance, la meilleure possible, en se centrant, avant tout, sur ses capacités physiques. Mais il n’en est rien. Dans la suite de l’interview, Tom Dumoulin montre parfaitement l’engrenage dans lequel il s’est trouvé pris : « Je suis devenu Tom Dumoulin, « le grand cycliste néerlandais » et je suis censé le rester. Les gens autour de moi, mes proches, l’équipe et même moi, tout le monde a beaucoup d’attentes à cause de cette image. J’étais habitué, auparavant, à ne gérer que mes propres attentes. Et en tant qu’athlète de haut niveau, vos propres attentes sont déjà très difficiles à gérer. Vous êtes impatient et cela, en soi, peut déjà être stressant. Quand d’autres personnes attendent aussi beaucoup de vous, c’est facile de dire : « ne t’occupe pas de cela, ça ne les regarde pas ». C’est facile à dire, mais plus difficile à faire que je ne le pensais. »

S’épuiser dans la quête du regard des autres

Le sport, il est vrai, est un spectacle, et les champions sont soumis aux mêmes contraintes que dans le show-business. Il faut qu’ils tiennent leur rôle. Mais cette dépendance à l’égard du regard des autres, des commentaires qu’ils font, des images qu’ils vous collent à la peau, est répandue bien au-delà des métiers du spectacle. Il faut bien faire, il faut faire bonne figure, il faut se montrer « dans le coup », être « performant », rester au niveau, etc. Mais tout cela conduit-il à faire ce qui a le plus de sens pour soi-même ? En général, non : on fait face à la situation, mais on ne donne pas ce qui fait vraiment la spécificité de sa personne.

L’équipe Jumbo-Visma, à laquelle Tom Dumoulin appartient, est connue, dans le peloton, pour être une organisation redoutable, à la recherche de toutes les innovations, de tous les détails qui peuvent améliorer les performances individuelles et collectives. Elle débauche des coureurs en mettant l’argent qu’il faut sur la table et constitue des équipes faites pour gagner. En cela, elle est à l’image de beaucoup d’entreprises d’aujourd’hui. Or, on voit que cette organisation, pour performante qu’elle soit, laisse facilement de côté la subjectivité des salariés qui la composent.

On peut psychologiser la décision de Tom Dumoulin, et parler de dépression ou de burn-out. Mais ce n’est pas comme cela que je la perçois. Sur la vidéo, le coureur apparaît souriant et soulagé. On ne le sent pas déprimé. Le journaliste qui l’interviewe lui pose d’ailleurs directement la question :
– « Vous le dites avec un sourire. Y a-t-il de la tristesse derrière cela ?« 
– « Pas pour le moment. Non, ça fait vraiment du bien« .
En fait on observe plutôt quelqu’un qui a retrouvé une marge d’action, une marge de décision personnelle qu’il avait perdue. Beaucoup de ruptures de cet ordre, dans le travail, sont des ruptures salutaires. Quand on n’a même plus le temps et l’occasion de s’interroger sur ce que l’on fait, sur ses choix, il est temps de mettre le clignotant.

Soi et les autres : un juste équilibre à trouver

On pourrait trouver la démarche de ce champion égocentrique. Mais je pense qu’il s’agit d’autre chose. J’aime bien, à ce propos, le commentaire légèrement décalé que j’ai entendu, une fois, à propos du commandement : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce commentaire disait qu’il fallait trouver une sorte d’équilibre, de match nul, entre le prochain et nous-mêmes. Ou, dit autrement : nous ne pouvons pas servir authentiquement notre prochain, si nous sommes totalement sortis de nous-mêmes. Il y a donc un dialogue à construire entre les attentes des autres et ce qui fait le cœur de notre être.

Pour situer le dialogue dont je parle, je voudrais citer un épisode peu connu du livre des Juges, au moment où les israélites envisagent de désigner, parmi eux, un roi. Un prophète vient alors et leur raconte la parabole suivante : « Les arbres s’étaient mis en route pour aller oindre celui qui serait leur roi. Ils dirent à l’olivier : Règne donc sur nous. L’olivier leur dit : Vais-je renoncer à mon huile que les dieux et les hommes apprécient en moi, pour aller m’agiter au-dessus des arbres ? Les arbres dirent au figuier : Viens donc, toi, régner sur nous. Le figuier leur dit : Vais-je renoncer à ma douceur et à mon bon fruit, pour aller m’agiter au-dessus des arbres ? Les arbres dirent alors à la vigne : Viens donc, toi, régner sur nous. La vigne leur dit : Vais-je renoncer à mon vin qui réjouit les dieux et les hommes pour aller m’agiter au-dessus des arbres ? » (Jg 9.8-13). On devine la fin de l’histoire : seul le buisson d’épines accepte de régner ! Mais ce qui m’importe est que chaque arbre résiste à la demande qui lui est faite, au nom de tout ce qu’il peut faire de mieux pour les autres.

Aujourd’hui, cette question du rapport entre ce que je suis prêt à faire et la demande des autres est régulée par le marché. Et c’est ce que nous raconte Tom Dumoulin : les sponsors, ses employeurs et le public, forment un système qui lui adresse des demandes solvables. Mais ces demandes solvables finissent par écraser sa subjectivité. Il y a là une faille majeure dans les sociétés modernes, ce que l’on appelle parfois : les défaillances du marché. Un grand nombre de biens et de services d’une grande valeur ne sont pas bien représentés par le marché.

C’est un beau et un grand sujet de méditation ! Il devrait nous conduire à élaborer des projets qui obéissent à une autre logique ; des projets qui permettent de construire un dialogue, les uns avec les autres, plus riche et plus ouvert.

Auteur Frédéric de Coninck sur son blog Tendances, Espérance

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